La dénutrition : un vrai risque chez les seniors

En France, plus de deux millions de personnes souffrent de dénutrition, et les personnes âgées sont particulièrement concernées. Perte d’appétit, plats inadaptés, solitude ou fatigue sont autant de facteurs favorisant ce « mal silencieux ».

La dénutrition est un phénomène fréquent qui touche plus de deux millions de personnes en France, selon le Collectif de lutte contre la dénutrition, dont 400 000 personnes âgées à domicile et 270 000 en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Elle résulte soit d’apports alimentaires insuffisants, soit d’une perte de nutriments, soit d’une association des deux. « La dénutrition se définit par un indice de masse corporelle (IMC) inférieur aux courbes minimales de santé (21 chez la personne âgée) et par une perte de poids involontaire de plus de 5 % en un mois ou de plus de 10 % en six mois », indique le docteur Jean-Michel Lecerf, médecin nutritionniste de l’institut Pasteur de Lille. La prévalence de la dénutrition n’est pas facile à évaluer, mais on estime qu’elle touche 4 à 5 % des personnes âgées à domicile et 25 à 30 % des personnes en établissement.

Un affaiblissement général

Si l’avancée en âge peut fragiliser, elle ne constitue pas à elle seule un facteur explicatif de cet état pathologique. En revanche, « des troubles de la déglutition, des problèmes bucco-dentaires, une perte d’autonomie, mais aussi l’isolement ou le manque de moyens financiers peuvent faire le lit de la dénutrition », précise Jean-Michel Lecerf. Les préjugés sont également susceptibles d’entrer en jeu. « Certains seniors pensent qu’ils ont moins besoin de manger parce qu’ils ont une activité physique moindre, par exemple, et ils vont ainsi sauter le repas du soir, illustre le médecin nutritionniste. Or, c’est une idée fausse. » Chez les sujets âgés, la dénutrition contribue à la survenue de pathologies parfois graves. Elle affaiblit et rend plus vulnérable. « Les carences entraînent une aggravation des maladies préexistantes, comme les maladies chroniques, explique le docteur Lecerf. Le risque d’infections et de complications est également largement multiplié. La dénutrition est aussi responsable d’une fonte musculaire qui augmente le risque de chutes et donc de fractures. Tout cela participe à la réduction de l’autonomie. »

Une maladie difficile à détecter

Pour lutter contre la dénutrition, encore faut-il la dépister. « Le problème est que cette maladie est souvent silencieuse, constate Jean-Michel Lecerf. La personne âgée peut se sentir fatiguée, mais c’est seulement quand la dénutrition devient très sévère que d’autres signes apparaissent. » Seule la mesure du poids permet donc un dépistage rapide. Mais, « souvent, la personne âgée ne se pèse pas régulièrement et elle ne connaît pas son poids de forme habituel », déplore-t-il. En cas de suspicion de dénutrition, la Haute Autorité de santé (HAS) préconise l’utilisation d’une grille de risques, appelée Mini Nutritional Assessment (MNA), qui permet, grâce à une série de questions, d’apprécier l’état nutritionnel du patient.

Une fois le diagnostic établi, le médecin traite les causes de la dénutrition : « Si la personne âgée souffre, par exemple, d’un problème dentaire qui la gêne pour manger, nous l’orientons vers un spécialiste. Même chose s’il s’agit d’une dépression. » En parallèle, le patient doit retrouver le plaisir de manger. « Pour cela, la présentation des plats doit être plus travaillée et le goût relevé, ajoute le docteur Lecerf. Il faut privilégier le plaisir gustatif et laisser de côté les menus trop stricts. » Les proches des personnes âgées qui vivent seules sont aussi invités à partager plus fréquemment des repas. Quand la situation le nécessite, des préparations alimentaires vendues en pharmacie peuvent être conseillées. Mais le médecin nutritionniste le rappelle, « mieux vaut prévenir le risque de dénutrition en restant attentif à l’autre et en apportant du soin à l’alimentation au quotidien ».

Léa Vandeputte

Une cuisine plus adaptée

Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), notamment, les cuisiniers travaillent sur de nouveaux modes de présentation des plats pour redonner l’envie et le plaisir de manger aux anciens. Inspirée par la cuisine moléculaire, la cuisine à texture modifiée en est un bon exemple. Cette méthode de préparation des aliments permet d’en modifier la texture tout en conservant les qualités nutritives, les saveurs et les couleurs, afin de s’adapter aux personnes ayant des problèmes de déglutition. « Ce type de cuisine est très intéressant, confirme le docteur Jean-Michel Lecerf, médecin nutritionniste de l’institut Pasteur de Lille. Il existe différentes textures qui permettent de s’adapter aux besoins des personnes et de préserver le plaisir gustatif. » La cuisine « manger mains » est un autre exemple de ce travail d’adaptation. « Cette manière de cuisiner a pour but de permettre aux personnes qui souffrent de déficits cognitifs et qui ont des difficultés à manier les couverts de retrouver leur autonomie en se servant de leurs doigts pour manger », explique le spécialiste. Bien que ces nouvelles cuisines demandent un investissement supplémentaire en temps et en recherche pour leur préparation, toutes deux présentent l’avantage de préserver le plaisir de manger.