Quand le mal-logement rend malade

D’après le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre, la crise du mal-logement en France toucherait près de 15 millions de personnes si l’on compte tous ceux qui vivent dans des lieux indignes, en situation de surpeuplement ou de précarité énergétique. Des conditions de vie particulièrement difficiles, qui ne sont pas sans conséquences sur la santé.

 

« Quand on est malade, on reste à la maison, mais quand c’est le logement qui rend malade ? » C’est avec ce slogan, utilisé dans sa campagne de sensibilisation de 2007, que la Fondation Abbé-Pierre (FAP) interpellait pour la première fois le grand public sur les conséquences du mal-logement sur la santé. Depuis, même si les logements dépourvus du confort sanitaire de base (eau chaude, cuisine, sanitaires) sont toujours moins nombreux (ils représentaient 1 % de la totalité du parc en 2013, contre 15 % en 1984), « il existe encore beaucoup trop de cas de non-logement, de logement indigne ou de bidonvilles », constate Christophe Robert, délégué général de la FAP. D’après le dernier rapport de la fondation, publié en janvier 2017, la France compterait près de 4 millions de mal-logés, dont 143 000 sans-domicile-fixe (SDF). Un chiffre qui grimperait même à plus de 14,5 millions si l’on ajoute les personnes en situation d’habitat surpeuplé, d’effort financier excessif pour payer leur loyer ou encore de précarité énergétique. « La mauvaise qualité des logements et notamment l’absence d’isolation, la fragilité économique des populations et la hausse des coûts de l’énergie conduisent à des histoires dramatiques, explique Christophe Robert. Les personnes souffrent de l’humidité, du froid, de la chaleur et finissent par tomber malades. »

 

Les SDF premières victimes du mal-logement

Face au mal-logement, les premières victimes sont incontestablement les SDF. Dans la rue, on meurt à 49 ans en moyenne, soit nettement en deçà de l’espérance de vie du pays. Parmi les pathologies les plus représentées chez les sans-abri, on trouve les maladies respiratoires et digestives, les troubles du comportement alimentaire ou encore les maladies de peau, sans parler de la fréquence des troubles psychiques et des problèmes de dépendance à l’alcool ou aux drogues.

Dans les bidonvilles, la promiscuité et le surpeuplement augmentent encore les risques sanitaires. Les acteurs de terrain y constatent la recrudescence de certaines épidémies, comme la tuberculose, ou l’apparition de pathologies comme les shigelloses ou les dysenteries bacillaires – des infections intestinales transmises par l’eau et les aliments souillés, proches de celles que l’on trouve dans les camps de réfugiés –, ainsi que des problématiques psychiques. La localisation de ces habitations de fortune, souvent situées sur des sols pollués, à proximité de décharges ou d’échangeurs d’autoroute et à distance des infrastructures de base, n’arrange pas les choses. Selon un rapport de Médecins du monde, la mortalité néonatale dans les bidonvilles serait huit fois supérieure à la moyenne française, et la mortalité infantile cinq fois supérieure. Quant à l’espérance de vie, elle ne dépasserait pas 50 à 60 ans.

Avoir un toit ne préserve pas forcément la santé

« On le voit, ne pas avoir de véritable logement produit des effets sanitaires parfois très graves, mais, malheureusement, un toit sur la tête ne préserve pas forcément la santé », précise Christophe Robert. Au-delà de l’absence de WC, de chauffage, de cuisine ou d’eau chaude, « bien d’autres critères d’inconfort peuvent se cumuler », note la FAP dans son rapport. Humidité sur les murs, problèmes d’isolation, infiltrations d’eau ou installations électriques dégradées : en 2013, 10 % des logements rassemblaient au moins trois de ces défauts. Dans ces lieux, la fondation constate une présence accrue des pathologies chroniques (bronchite, arthrose, asthme) et aiguës (rhume, angine, grippe, diarrhée), ainsi que des symptômes associés (sifflements respiratoires, irritations oculaires…). Parmi les personnes exposées à la précarité énergétique, 41 % souffriraient d’anxiété et de dépression, contre 29 % chez les autres ménages. De plus, « dans les logements trop petits et surpeuplés, la promiscuité joue sur l’épanouissement du couple et de la famille, mais aussi sur la qualité du sommeil et sur le développement psychomoteur des enfants », souligne Christophe Robert. Autant d’éléments difficilement mesurables par la statistique publique, mais qui produisent des effets véritablement délétères sur ces habitants déjà lourdement fragilisés par leur situation économique.

Delphine Delarue

 

Santé et logement : un déficit d’application des lois

Face aux drames du mal-logement, des recours existent. Le décret « décence », par exemple, interdit la location de logements dont la taille est inférieure à 9 mètres carrés. « Malheureusement, toutes les situations de ce type que l’on rencontre et que l’on dévoile ne donnent pas forcément lieu à des poursuites, indique Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre (FAP). C’est donc la question de l’application des lois et de la capacité de l’intervention publique à faire respecter la dignité du logement qui se pose. » Pour faire évoluer la situation, la fondation souhaiterait que les efforts menés en direction de l’amélioration globale de l’habitat* et de l’élargissement du parc de logements soient poursuivis. Elle demande aussi que l’information des petits propriétaires concernant les aides publiques dont ils peuvent disposer pour résoudre leurs problèmes d’insalubrité et de précarité énergétique soit renforcée. « Enfin, il faudrait des moyens supplémentaires pour améliorer la capacité d’intervention des organismes de santé, notamment des agences régionales de santé, mais aussi des forces de policelocales, pour que toutes ces personnes puissent aller sur le terrain, suivre les situations et intervenir, explique Christophe Robert. La santé et le logement sont deux univers très cloisonnés, alors qu’ils sont intimement liés. Nous appelons donc à un véritable décloisonnement des acteurs pour que toutes les dimensions de la personne mal-logée puissent être considérées et traitées. »

* La loi de transition énergétique entrée en vigueur au 1er janvier 2017 prévoit par exemple la rénovation de 500 000 logements par an, dont 250 000 pour les plus modestes.

 

Peinture au plomb et saturnisme : où en est-on ?

Le saturnisme, cette maladie aux effets particulièrement nocifs sur le développement cérébral et psychomoteur des enfants, est essentiellement dû à la présence de plomb dans les peintures anciennes que l’on trouve dans les logements construits avant 1949. En avalant les écailles de ces peintures tombées au sol et en inhalant leur poussière, les enfants s’intoxiquent. Pour les protéger, le Code de la santé publique prévoit l’obligation pour les propriétaires de logements à usage d’habitation de produire un constat de risque d’exposition au plomb (CREP) à destination de leurs locataires. Si l’analyse est positive (soit plus de 1 milligramme par mètre carré), le propriétaire devra procéder sans attendre aux travaux nécessaires pour limiter les risques d’exposition. Grâce à cette mesure, ajoutée à l’interdiction, en 2006, des vernis et des peintures contenant plus de 0,01 % de plomb, au traitement des eaux de distribution, à l’amélioration de l’alimentation et au contrôle des émissions industrielles, le nombre d’enfants atteints de saturnisme a été divisé par vingt entre 1996 et 2008-2009, passant de 85 000 à un peu plus de 4 000.

Vers qui se tourner si l’on est mal logé ?

Faire valoir ses droits en matière de logement représente souvent un parcours du combattant pour les ménages. Face à la complexité, voire à l’opacité des dispositifs d’aide existants, de nombreuses associations locales ou nationales tiennent des permanences d’accueil. Leur mission : accompagner les personnes dans leurs démarches juridiques et administratives concernant les expulsions, l’habitat indigne ou le droit au logement opposable (Dalo), un dispositif contraignant l’Etat à reloger ou à héberger les personnes à la rue, en situation de logement insalubre ou dangereux ou qui attendent un logement social depuis des années.

Pour obtenir de l’aide, les personnes concernées peuvent par exemple faire appel aux associations d’Habitat et Humanisme (Habitat-humanisme.org), au réseau de l’accompagnement aux droits liés à l’habitat (ADLH) de la Fondation Abbé-Pierre (Fondation-abbe-pierre.fr), à la fédération Droit au logement (DAL, Droitaulogement.org) ou encore aux permanences locales du Secours populaire (Secourspopulaire.fr).

 

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